Contribution à la réforme de la protection juridique des majeurs vulnérables :
Le regard d’un avocat praticien
Introduction. C’est bien souvent à l’aune du traitement que reçoit sa population la plus fragile – mineurs et majeurs vulnérables – que se détermine le degré de civilisation d’une société. Dans une époque marquée par l’érosion des liens familiaux, le déclin des solidarités, l’empire de l’avoir sur l’être, les majeurs vulnérables, fragilisés psychiquement et/ou physiquement – qu’il s’agisse de nos Aînés, des victimes de traumatismes crâniens ou des personnes présentant des troubles psychiatriques –, sont bien souvent relégués à l’oubli.
L’honneur de notre Droit. Le droit des majeurs protégés est l’honneur de notre Droit. Prolongement de la loi du 03 janvier 1968 , la loi du 05 mars 2007 , tout en rappelant que la protection des majeurs vulnérables « est un devoir de la collectivité » (art. 415 C. civ.), a mis fin à certains errements antérieurs (pratique dangereuse des « comptes pivots »), a professionnalisé et unifié la profession de M.J.P.M., et renforcé en théorie le contrôle des comptes de gestion. Surtout, cette réforme a placé le majeur vulnérable au cœur du dispositif judiciaire et légal : « l’incapable » devient « majeur protégé », et une nouvelle protection de sa personne se dessine.
La pratique a progressivement mis en lumière les limites de ce nouveau système :
– Insuffisance de moyens humains – juges des tutelles, greffiers, greffiers en chef – et financiers (combien de tribunaux en pénurie d’encre, de papier, de timbre) au regard du nombre de personnes concernées.
– Absence d’avocat obligatoire dans une matière qui touche pourtant aux libertés fondamentales.
– Absence de formation des protecteurs familiaux.
– Absence de corporation des M.J.P.M., et donc absence d’élaboration d’une déontologie commune sur le territoire national.
Dans une société vieillissante et éclatée familialement, il devenait indispensable de réformer la loi du 05 mars 2007.
Avocat en droit des majeurs vulnérables. L’avocat exerçant spécifiquement en droit des majeurs vulnérables est le témoin privilégié des maux de l’esprit, des maltraitances et des abus de faiblesse, des stratégies de convoitises de certaines familles. Auxiliaire de justice au sens plein du terme, le majeur vulnérable trouve en lui une écoute et un soutien. À l’audience du juge des tutelles et de la cour d’appel, l’avocat du majeur vulnérable intervient autant comme conseil que comme procureur civil bis.
Plan. Des dix années de défense des majeurs vulnérables qui se sont écoulées depuis l’entrée en vigueur (1er/01/09) de la loi du 05 mars 2007, une réflexion, éthique et juridique, liée à la place de l’avocat en cette matière (Chapitre I) et aux évolutions normatives pouvant être mises en œuvre (Chapitre II), est née jour après jour. Je remercie Madame Anne Caron-Déglise de me donner ici la possibilité de soumettre ces quelques réflexions.
CHAPITRE I – L’AVOCAT DU MAJEUR VULNÉRABLE :
UNE MISSION ET UNE PRÉSENCE ESSENTIELLES
1. Propos liminaire. En droit des majeurs protégés, l’avocat de la personne altérée n’a qu’un but : veiller à ce que son Client, dès lors bien entendu que sa vulnérabilité est avérée, bénéficie d’une mesure de protection adaptée à son état de santé, ce qui implique également qu’il soit assisté ou représenté par un protecteur (familial ou professionnel) bienveillant et efficace. Le cœur de la mission de l’avocat est d’agir dans l’intérêt supérieur du majeur vulnérable, dont ce dernier n’a pas forcément conscience, du fait même de ses altérations psychiques.
2. Périmètre de la matière. Le droit des majeurs protégés (sauvegardes, curatelles, tutelles) constitue, avec le droit des hospitalisations sans consentement, le socle civil du droit des majeurs vulnérables. La défense des victimes de violences et d’abus de faiblesse, devant les juridictions correctionnelles, en constitue le versant pénal.
3. L’avocat du majeur vulnérable : un rôle spécifique. En cette matière gracieuse qui s’inscrit dans un ordre public de protection, la recherche de l’intérêt de la personne altérée devient l’horizon commun du juge, de l’avocat et du protecteur. L’avocat du majeur a un rôle essentiel : contribuer à cette recherche, par un dialogue fructueux avec le juge des tutelles (ou la chambre des tutelles de la Cour d’appel) et le Ministère Public .
Cela se traduit notamment par le fait que, ni aux auditions ni à l’audience, l’avocat ne plaide : il échange. De plus, l’avocat ne considère pas, a priori, les autres parties (membres de la famille du majeur, protecteurs ) comme des adversaires, mais comme des interlocuteurs, susceptibles de lui apporter un éclairage complémentaire sur la situation de son client, et à qui il pourra également apporter un point de vue distinct.
4. Une fonction sui generis. L’avocat du majeur confronté à une procédure de protection accomplit une mission particulière de conseil (A), de défense (B), de vigie (C).
A) Conseiller
4.1. Conseiller signifie œuvrer pour que la personne qui présente une altération de ses facultés intellectuelles reçoive une protection judiciaire (sauvegarde, curatelle simple, renforcée aménagée, renforcée, tutelle) adaptée, c’est-à-dire proportionnée à son degré d’altération, ou à son degré d’autonomie.
Le plus souvent, le majeur concerné par la procédure devant le juge des tutelles souffre d’une altération psychique entravant l’expression de sa volonté, de sorte que la première fonction de son avocat consiste à l’accompagner à chaque étape de la procédure de protection et au fil de l’exercice de la mesure. L’avocat s’assure que la mesure de protection vers laquelle le juge se dirige corresponde concrètement aux besoins de son client (qu’elle ne soit ni trop lourde, ni trop légère), et soit exercée avec bienveillance et efficacité (en cas de négligence, un changement de protecteur doit être demandé).
Dans cette dimension d’accompagnement, l’avocat œuvre à l’acceptation par son client d’une mesure de protection adaptée et devient une force de proposition pour le juge des tutelles. En effet, l’avocat va suggérer des modalités d’exercice de la mesure en fonction des spécificités de la personne, et de la palette qu’offre la loi du 05 mars 2007 : curateur ou tuteur unique, co-curateurs ou co-tuteurs, tuteur aux biens et tuteur à la personne, curateur ou tuteur adjoint, subrogé curateur ou tuteur, etc.
4.1.1. Il n’est pas rare que les personnes fragilisées présentent un déni de leur altération psychique, et refusent dès lors toute mesure de protection : le rôle de l’avocat consiste en ce cas, non à être le porte-voix de ce refus pathologique, mais à prendre le temps d’expliquer à son client, avec délicatesse, le bénéfice d’une mesure appropriée bien exercée. Ce qui suppose pour l’avocat d’apprendre à échanger avec une personne altérée – il est autant de chemins de dialogues qu’il y a de troubles mentaux.
Le plus souvent, lorsqu’un lien de confiance s’est tissé entre le client et son avocat, le premier se rangera à la position du second. Le rapport au temps entre l’avocat et son client est différent de ce qu’il peut être dans d’autres domaines du droit des personnes en présence d’un majeur vulnérable : l’avocat doit veiller à instaurer un climat de bienveillance, qui passe par une écoute attentive, empathique et critique, afin que le majeur vulnérable finisse par reconnaître l’utilité d’une aide, et se sente considéré.
4.1.2. Si le majeur altéré reste imperméable au discours de l’avocat, l’avocat doit prévenir son client qu’il demandera malgré tout, dans l’intérêt de celui-ci, une mesure de protection appropriée, au vu des éléments du dossier et des vertus de son serment. C’est ici la grande différence avec les autres matières du droit : l’avocat est libre, en conscience, de ne pas suivre les souhaits que la maladie mentale dicte à son client, dès lors qu’il prévient celui-ci sans recevoir d’opposition. Si le majeur altéré demande absolument à son avocat de solliciter une mainlevée alors même qu’une protection est nécessaire (pour mettre fin à un abus de faiblesse, par exemple), l’avocat devra se retirer du dossier. Si le client choisit de changer d’avocat, il appartiendra au second avocat d’adopter la même éthique, et de tenir le même discours.
Aucun avocat ne saurait, en cette matière, suivre sans filtre critique les demandes de son client, majeur vulnérable, et solliciter un non-lieu à mesure (ou la mainlevée de celle-ci) en présence de certificats médicaux étayés et concordants concluant à la nécessité d’une protection judiciaire. Le majeur altéré y verrait un encouragement malvenu dans son déni, ce qui lui serait préjudiciable.
Enfin, lorsque le majeur vulnérable est hors d’état d’exprimer une volonté, l’avocat désigné par le protecteur sur autorisation judiciaire, ou commis d’office, est seulement guidé par son éthique, laquelle repose sur l’intérêt supérieur de son client.
B) Défendre
4.2. Il est des cas, non négligeables, dans lesquels l’avocat a un rôle de défense : en présence d’une requête abusive d’un tiers aux fins de protection, en présence d’un jugement constituant un excès de protection, en présence d’un abus dans la mise en œuvre de la mesure, en présence de proches malveillants, en présence d’un protecteur maltraitant.
Sa mission est ici de défendre, avec la plus grande énergie.
L’avocat du majeur a également une obligation constante de vigilance.
C) Une obligation de vigilance
4.3. L’avocat d’un majeur vulnérable peut se retrouver en situation d’être témoin d’une situation d’emprise par un tiers, ou en situation de comprendre que le majeur a été victime d’un abus de faiblesse ou de maltraitances. Ce qui suppose de la part de l’avocat, de prendre le temps d’entendre la parole du majeur altéré – à son cabinet, à l’hôpital, au domicile de la personne, en maison de retraite – et d’être particulièrement attentif à ses réactions, à ses silences, au vocabulaire employé. L’avocat préviendra alors le juge des tutelles, le procureur, le protecteur, de ces éléments.
Pour cette raison, il est essentiel que l’avocat reçoive le majeur vulnérable qui le saisit, seul à seul, à son cabinet (ou s’entretienne sur le lieu de vie de son Client, seul à seul), et refuse que l’accompagnateur – qui d’expérience peut être une personne malveillante – assiste au rendez-vous. Ainsi, l’avocat recueillera de son Client une parole libre.
Lorsqu’après avoir échangé avec le majeur seul à seul, celui-ci souhaite en conscience que l’accompagnateur puisse apporter des détails ou des renseignements complémentaires, il appartient à l’avocat, qui n’a pas encore étudié le dossier du Greffe, d’être vigilant.
A titre d’illustration, le fait que ce « proche » coupe la parole du majeur, ou réponde à sa place, peut être un signe d’abus de faiblesse ou à tout le moins un indice d’emprise, ou de suggestibilité du majeur.
Ces trois missions – conseil, défense, vigie – sont irriguées par une quatrième, consubstantielle à la matière : soutenir le majeur vulnérable dans la procédure de protection, ou de renouvellement. Une fonction en soi (cf. infra, 5.1.).
5. Pour une présence obligatoire de l’avocat. Le droit à l’avocat est aujourd’hui une faculté, il doit devenir une nécessité.
5.1. En l’état actuel du Droit, le majeur protégé ou à protéger est avisé dans la convocation qu’il reçoit du juge en vue de son audition aux fins d’ouverture d’une mesure de protection, ou aux fins de modification ou de mainlevée de la mesure de protection, qu’il « peut faire le choix d’un avocat ou demander à la juridiction saisie que le bâtonnier lui en désigne un » (art. 1214 c.p.c.), cette désignation d’un avocat commis d’office devant, lorsqu’elle est formulée, intervenir sous huit jours.
En d’autres termes, pour avoir un avocat, soit le majeur concerné contacte personnellement un avocat ou demande à ses proches de lui en trouver un (on parle alors d’avocat « choisi »), soit il n’en connaît pas ou n’en trouve pas et demande au juge des tutelles qu’il lui en soit désigné un d’office .
Les insuffisances de ce système sont éclatantes : seules les personnes les plus aptes psychiquement à comprendre l’importance d’avoir un avocat, exercent ce droit, et prennent directement l’attache d’un avocat, ou en demandent un, commis d’office.
Ainsi, la plupart des personnes atteintes psychiquement, ou hors d’état d’exprimer une volonté, n’en font jamais la demande, faute d’aptitude : ces personnes se retrouvent donc seules dans cette procédure de protection, abandonnées à leurs angoisses et à leur solitude.
Dès lors que l’avocat devient obligatoire pour le majeur vulnérable (ou présumé tel), l’avocat commis d’office rendra visite à son client, échangera avec lui par téléphone et courrier : l’avocat deviendra un interlocuteur accueilli avec soulagement et sera un facteur d’apaisement. Il échangera avec la famille, le corps médical, étudiera le dossier et y découvrira parfois des éléments qui poseront question : il sera en mesure d’adresser au juge des observations utiles, de signaler tout abus de faiblesse, et de contester utilement certaines candidatures.
La présence obligatoire d’un avocat est donc essentielle pour le majeur vulnérable, et participe de la préservation de sa dignité.
5.2. L’intervention d’un avocat rompu à la matière, choisi ou commis d’office, permettra au majeur concerné :
– d’être un acteur de l’instance qui le concerne, et non un spectateur impuissant d’une procédure vécue comme une épreuve ;
– d’humaniser la procédure de protection, de rendre la personne sujet, et non objet de la procédure de protection ;
– de ne pas être seul dans cette procédure, mais de pouvoir compter sur un soutien bienveillant ;
– de recevoir les conseils avisés d’un professionnel du droit tout au long de la procédure ;
– de se faire expliquer le contenu de son dossier ainsi que le déroulement de la procédure et les différentes mesures de protection ;
– d’être préparé à son audition, tant il est difficile de se retrouver confronté au juge, à la présence, lors de l’audition au Tribunal, de membres de sa famille, et de parler de soi ;
– en cas d’abus, de bénéficier de l’expertise d’un avocat pour le dénoncer.
5.3. Au surplus, la présence obligatoire de l’avocat au côté du majeur vulnérable s’est imposée avec évidence en droit des hospitalisations sans consentement : devant le J.L.D., depuis le 1er janvier 2014, la présence d’un avocat, choisi ou à défaut commis d’office, est obligatoire. Par analogie, une personne vulnérable (ou présumée telle) confrontée à un Juge des tutelles, est dans une situation comparable. La présence obligatoire de l’avocat s’impose.
5.4. En pratique, lorsqu’un majeur est hors d’état d’exprimer une volonté, et qu’il se trouve placé en sauvegarde de justice, le mandataire spécial désigné peut être amené à solliciter du juge, par requête, une mission complémentaire de choix d’un avocat dans l’intérêt du majeur, cette initiative bienvenue permettant à celui-ci de bénéficier d’un avocat.
De lege ferenda, la présence de l’avocat devant le juge des tutelles et devant la cour d’appel doit être rendue obligatoire dans le cadre des instances en ouverture, renouvellement et révision d’une mesure de protection. Ainsi, dès que le juge des tutelles est saisi d’une requête, un courrier recommandé devrait être adressé par le Greffe au majeur concerné, afin de l’aviser de son obligation, dans son intérêt, de prendre l’attache d’un avocat de son choix, étant précisé qu’à défaut de constitution de l’avocat reçue au greffe au plus tard huit jours avant son audition, le juge pourra : soit demander au Bâtonnier qu’il lui en soit commis un d’office, soit valider la convention de mission de l’avocat que le mandataire spécial, dans le cadre d’une sauvegarde prononcée en urgence, lui aura présentée.
6. Avocat choisi. Un avocat est choisi (ou désigné) par son client lorsque celui-ci l’a appelé et lui a écrit librement pour lui demander d’être son conseil.
Un majeur ne peut choisir un avocat que si son état de santé psychique le lui permet, en dehors de toute pression et de toute contrainte. Le choix, éclairé, par le majeur protégé, d’un avocat, constitue un acte personnel au sens de l’article 459 du Code civil.
Lorsque le majeur vulnérable n’est pas en état de choisir un avocat, ce qui résulte des éléments médicaux du dossier, aucun avocat ne saurait se présenter comme choisi. Sa désignation doit être considérée comme non avenue.
Lorsque le majeur vulnérable n’est pas en état de choisir un avocat, le Juge des tutelles confie alors au protecteur une mission spécifique afin de l’autoriser à désigner un avocat dans l’intérêt du majeur, pour la suite de la procédure de protection (cf. supra, 5.4.).
6.1. L’avocat choisi par le majeur dans la procédure de protection. En droit des majeurs vulnérables, l’avocat doit être saisi par le majeur pour s’en considérer le conseil.
En pratique, lorsque la famille est bienveillante, il n’est pas rare qu’un ou plusieurs de ses membres contactent un avocat pour que celui-ci devienne l’avocat du majeur : l’avocat doit inviter cette famille à demander au majeur de l’appeler. Si le majeur n’a pas l’aptitude de le contacter, l’avocat ne pourra pas se considérer comme avocat du majeur. L’avocat pourra seulement être l’avocat des membres de la famille qui l’ont contacté.
Après avoir échangé utilement avec le majeur, l’avocat demandera au majeur de lui confirmer par écrit sa désignation, dans le cadre d’un pouvoir ou d’une lettre de désignation ou de mission .
Tant qu’un tel écrit n’a pas été adressé à l’avocat, l’avocat ne peut pas intervenir.
6.2. Avocat commis d’office demandé par le majeur. Le fait pour un majeur concerné par une procédure de protection, de demander un avocat commis d’office ne signifie pas nécessairement que cet avocat sera pris en charge au titre de l’aide juridictionnelle : tout dépendra des ressources de la personne. Si le majeur n’est pas éligible à l’aide juridictionnelle, une convention de mission devra être régularisée entre l’avocat, le majeur, et le protecteur. L’avocat commis d’office ne saurait subordonner le commencement de sa mission à la signature d’une convention d’honoraires : dès sa désignation, il doit se constituer, étudier le dossier, donner rendez-vous à son client.
6.3. Majeur devenu en cours de procédure de protection, hors d’état d’exprimer sa volonté. Lorsqu’un avocat initialement choisi par un majeur vulnérable ayant suffisamment de lucidité pour le faire, comprend que son client :
– a décliné au point de ne plus se souvenir de l’avoir rencontré,
– a décliné au point qu’il n’est plus possible d’échanger utilement avec lui,
… alors l’avocat ne peut plus se considérer comme choisi, et doit se démettre, tout en sollicitant du juge des tutelles la désignation d’un avocat commis d’office ou la désignation d’un avocat sur proposition du protecteur.
6.4. Majeur hors d’état d’exprimer une volonté et autres procédures judiciaires (toute procédure contentieuse, civile ou pénale) : avocat proposé au juge par le protecteur. Au cours de la vie de la mesure, il n’est pas rare que le protecteur (curateur, tuteur) d’un majeur hors d’état de manifester sa volonté soit confronté à un procès contentieux, civil ou pénal, soit qu’il s’agisse de l’intenter (assignation en annulation de vente d’immeuble lésionnaire, en diminution du prix, plainte pénale pour abus frauduleux de faiblesse, requête en divorce, etc.), soit qu’il s’agisse de se défendre (à la suite d’une assignation, d’une citation directe, etc.). En pratique, le protecteur sollicite un avocat et soumet sa convention de mission au juge des tutelles, pour validation.
6.5. Conflit d’intérêts. En droit des majeurs vulnérables, l’avocat du majeur ne peut être l’avocat d’une autre Partie à l’instance (un membre de sa famille, un proche, etc.). L’avocat, choisi ou commis d’office, du majeur vulnérable n’est l’avocat que de celui-ci. Le majeur vulnérable a un intérêt qui lui est propre, irréductible : cet intérêt ne se confond jamais avec la représentation qu’en ont ses proches – a fortiori avec celle que s’en font les personnes malveillantes gravitant autour de lui.
Pas davantage l’avocat du majeur ne peut renseigner la famille sur le contenu du dossier ou sur ce qu’il a appris du majeur : la circonstance que la famille avait conseillé au majeur de contacter ledit avocat ne crée aucune obligation de l’avocat envers la famille. L’avocat doit conserver intact son secret professionnel. L’avocat sera évidemment courtois envers la famille qui appellera à son cabinet, mais il devra expliquer à celle-ci que son rôle est d’intervenir pour le seul majeur, de sorte qu’il ne pourra pas la recevoir en rendez-vous ni lui communiquer d’informations relatives au dossier de leur parent. L’avocat du majeur pourra inviter la famille de celui-ci à avoir son propre avocat.
Lorsqu’un avocat intervient à la fois pour un parent du majeur et pour le majeur, il se retrouve immédiatement en conflit d’intérêts, de sorte que déontologiquement, sa désignation doit être considérée comme non avenue. Il ne peut pas se contenter d’indiquer finalement rester l’avocat de l’un ou de l’autre : sa connaissance du dossier est biaisée, de sorte qu’il n’apporterait pas au majeur protégé ni à la famille l’assistance ni la défense objectives attendues.
Si la famille contacte un avocat pour un majeur vulnérable hors d’état d’exprimer une volonté, l’avocat ne pourra pas se considérer comme avocat du majeur : l’avocat pourra seulement être l’avocat d’un ou plusieurs membres de la famille du majeur, étant observé qu’il devra alors agir en poursuivant l’intérêt supérieur du majeur.
L’avocat du majeur concerné ne peut recevoir d’honoraires des autres Parties.
7. L’honoraire de l’avocat en droit des majeurs vulnérables : principes. Dans cette matière sensible, la plupart des majeurs vulnérables ont perdu la connaissance, et parfois jusqu’à la conscience, de l’argent. L’avocat doit être ici particulièrement prudent, et ne pas recevoir d’honoraires d’un majeur vulnérable gravement altéré : il lui faudra attendre que le protecteur désigné par le juge le rémunère, sur la base d’une convention de mission acceptée.
L’honoraire de l’avocat est classiquement fonction de la situation de fortune du client, de la complexité (temps consacré, travail de recherche) et de l’enjeu du dossier, de l’incidence des frais et charges du cabinet, des qualités de l’avocat (notoriété, titres, ancienneté, expérience, spécialisation), des avantages et du résultat obtenus (service rendu) .
Le principe de modération gouverne la matière, au nom de la dignité du majeur vulnérable. En dehors d’un simple rendez-vous de consultation, tout honoraire passe par une convention de mission. La nature même de la matière et l’honneur de l’avocat excluent ici tout honoraire de résultat lié au sens de la décision du juge des tutelles ou en appel, de la Cour d’appel.
Dans le cadre d’une instance devant le juge des tutelles et la cour d’appel, seuls sont acceptables des forfaits raisonnables, ou un taux horaire prévoyant un plafond d’heures facturables. Étant observé qu’un avocat pratiquant quotidiennement la matière ne saurait demander de sommes excessives, puisque précisément son expertise lui permet d’aller à l’essentiel et de ne pas multiplier les diligences inutiles.
Conformément au décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, annexe 1, l’honoraire forfaitaire – à la condition bien entendu d’être raisonnable – constitue un acte d’administration, tandis que la convention portant un honoraire « indéterminé » (au temps passé) ou de résultat constitue un acte de disposition.
7.1. Application concrète. Curatelle simple. En curatelle simple, le majeur protégé peut signer seul la convention de mission l’unissant à son avocat et posant un honoraire forfaitaire, et le régler s’il dispose de l’argent sur son compte courant. Si le curatélaire dispose d’une épargne placée, il devra solliciter l’accord de son curateur pour libérer des fonds.
Ainsi, le curateur sera légitime pour apprécier le caractère raisonnable de l’honoraire, à l’aune du travail à accomplir et du patrimoine du majeur protégé. Si l’honoraire lié à l’intervention de l’avocat devant le juge des tutelles ou la cour d’appel, est au temps passé, il s’agit d’un acte de disposition, de sorte que la convention d’honoraires devra être cosignée par le curatélaire et le curateur. Il est également possible de prévoir un honoraire au temps passé dans la limite d’un plafond d’heures forfaitairement et raisonnablement évalué.
7.2. Application concrète. Curatelle renforcée. En curatelle renforcée, que la convention de mission pose un honoraire forfaitaire (acte d’administration) ou un honoraire au temps passé (acte de disposition), elle doit être discutée et validée, c’est-à-dire cosignée, par le curateur et le curatélaire, et réglée par le curateur.
7.3. Application concrète. Tutelle. En tutelle, la convention est signée par le tuteur , qui représente le majeur. Le tuteur ne signera la convention que s’il l’estime raisonnable. En cas d’acte de disposition (honoraire au temps passé), l’autorisation du juge est requise.
7.4. Application concrète. Sauvegarde de justice. En sauvegarde de justice, prononcée en cours d’instance, tout dépend des termes de l’ordonnance : si le mandataire spécial perçoit effectivement les ressources de l’intéressé et assure effectivement le règlement de toutes les charges, de sorte que les comptes bancaires du majeur lui sont bloqués, seul le mandataire spécial règlera l’avocat (à la condition qu’il approuve la convention signée par le majeur en sauvegarde). Le mandataire spécial ne signera la convention d’honoraires que s’il en a reçu expressément mission du juge.
7.5. Dialogue et résolution. Quelle que soit la mesure de protection, lorsqu’une convention d’honoraires a été signée par un majeur vulnérable avant qu’il soit placé sous protection, le protecteur estimant l’honoraire excessif doit surseoir à tout règlement. Le protecteur pourra utilement échanger avec l’avocat en vue de parvenir à un accord raisonnable (puisque de la portée de la convention, le majeur vulnérable pouvait n’avoir pas entière conscience) : à défaut d’accord, l’avocat et le protecteur pourront saisir le Bâtonnier aux fins de taxation des honoraires, étant observé que la dignité de l’avocat lui impose de ne pas faire signer de convention de mission à un majeur vulnérable inapte à en comprendre la portée, et d’attendre qu’un protecteur soit désigné pour convenir avec lui d’une rétribution raisonnable.
CHAPITRE II – DIX PROPOSITIONS COMPLÉMENTAIRES
1ère proposition. – Vers un changement de dénomination : du juge des tutelles au juge protectionnel ou juge des protections.
« Juge des tutelles » : ce nom, définitivement anxiogène, fait peur à toutes les personnes âgées, ou fragilisées, qui y voient la privation annoncée de leur liberté civile.
Cette dénomination est pourtant impropre, à plusieurs titres :
– D’une part, le juge des tutelles est aussi le juge des curatelles et des sauvegardes de justice.
– D’autre part, le juge des tutelles peut aussi estimer que la personne concernée par une instance aux fins de protection n’a pas besoin d’être protégée – il rendra alors un jugement de non-lieu –, ou que la personne actuellement protégée n’a plus à le rester – un jugement de mainlevée sera prononcé.
En d’autres termes, le juge des tutelles n’a pas vocation à placer sous tutelle, mais à protéger la personne : en la faisant bénéficier d’une mesure de protection adaptée (sauvegarde, curatelle simple, ou renforcée, tutelle à l’extrême) ; en désignant comme protecteur une personne intègre et bienveillante ; en refusant de placer sous protection judiciaire la personne (le juge protège alors le majeur contre l’initiative du requérant) ; en échangeant avec les services sociaux, le parquet pénal, etc.
La protection par le juge s’accomplit ensuite durant toute la vie de la mesure : autoriser un placement financier, autoriser un transfert de la personne dans un EHPAD plus adapté, interdire la visite de personnes malveillantes, autoriser une union, arbitrer entre le majeur protégé et son protecteur lorsqu’une divergence de vues les oppose, décharger un protecteur lorsqu’il n’est pas diligent, veiller au bien-être de la personne, …
Parce que l’essence de son office est de protéger, le juge des tutelles pourrait utilement être renommé juge protectionnel. Recevoir une convocation à une audition devant le juge protectionnel, ferait sens. Saisir le juge protectionnel pour protéger une personne vulnérable, victime d’abus de faiblesse, ferait sens.
Avec cette nouvelle dénomination, le juge protectionnel, ou juge des protections aurait grâce aux yeux de tous, et justice serait rendue à la noblesse de sa fonction, si précieuse.
2ème proposition. – Éviter le placement sous protection judiciaire des personnes âgées qui ont simplement besoin d’un secrétariat privé.
Nombre de personnes âgées, ralenties du simple fait de l’âge, sans présenter d’altération marquée, accueilleraient volontiers à leur domicile les services d’une personne à qui seraient confiés le soin de préparer des courriers d’usage (charges de copropriété, par exemple), la pré-rédaction de chèques, l’accomplissement de formalités de la vie courante (retraits d’espèces, déclarations cesu, déclaration d’impôt en ligne, etc.) que leur état de santé physique et le décrochage technologique générationnel ne leur permet plus d’accomplir.
Pour autant, ces personnes ont conservé leurs facultés et ne nécessitent aucune mesure de protection. Simplement, elles vivent isolées (après un veuvage, souvent), et n’ont personne sur qui compter. Chaque déplacement devient une charge, de sorte que les courriers s’entassent. La motivation pour y faire face s’amenuise.
Ces personnes devraient bénéficier d’un accès simplifié, via les Mairies, les Tribunaux, les services sociaux, à des secrétaires à domicile, associations d’étudiants, susceptibles de les aider.
Dérive judiciaire, nombre de ces personnes ayant simplement besoin d’une aide pour des formalités courantes, sont placées en curatelle renforcée, de sorte qu’elles sont privées brutalement de leurs deniers, et doivent désormais avoir l’accord d’un curateur pour tout acte de disposition quand bien même elles ont conservé leur entière lucidité pour ces actes importants.
En d’autres termes, entre la curatelle simple protégeant les seuls actes de disposition, et la curatelle renforcée emportant en sus dépossession de la gestion courante, il n’existe pas d’alternative aux mesures de protection, visant à aider (et non protéger) la personne âgée dans les seuls actes de gestion courante, en sa présence et sous son contrôle.
3ème proposition. – Qu’il soit désormais impossible au Requérant de se désister de sa requête aux fins de protection judiciaire d’un majeur vulnérable.
Position du problème. Une personne saisit le juge des tutelles d’une requête aux fins de protection d’un proche vulnérable, certificat médical à l’appui. Quelques semaines plus tard, lors de son audition au Tribunal, le requérant, que le juge n’a pas perçu comme bienveillant, comprend qu’il ne sera pas désigné curateur ou tuteur, rentre chez lui et adresse un courrier au juge, aux termes duquel il se désiste de sa requête. Ce désistement a-t-il pour conséquence de priver le majeur vulnérable de la possibilité de bénéficier d’un jugement de protection ? Aussi incroyable que cela puisse apparaître, en l’état actuel du droit, la réponse est : oui.
En effet, depuis un avis (n° 011 00007P) rendu le 20 juin 2011, à la question, posée par un juge des tutelles, de savoir si le désistement d’un requérant entraînait de plein droit l’extinction de l’instance aux fins d’ouverture d’une mesure de protection, la Cour de cassation a répondu que ce désistement mettait fin à l’instance dès lors qu’aucune décision prononçant une mesure de protection n’avait été prise par le juge des tutelles.
En d’autres termes, dès lors que le juge des tutelles n’a pas rendu une ordonnance de sauvegarde de justice, le requérant peut se désister et priver le majeur vulnérable du bénéfice d’une mesure de protection.
Cet avis, singulier, doit être dépassé : en effet, il n’est pas acceptable qu’un majeur vulnérable nécessitant une mesure de protection (conformément aux prescriptions du médecin habilité qui l’a examiné), puisse être le jouet de l’humeur du requérant, et plus encore, réifié par la volonté de ce dernier.
Le droit des majeurs vulnérables s’inscrit dans un ordre public de protection (leur protection est un devoir de la nation), de sorte qu’une fois saisi par une requête et un certificat médical circonstancié, le juge des tutelles doit instruire son dossier jusqu’au bout, sans que le désistement du requérant n’éteigne l’instance. En saisissant le juge des tutelles, le requérant a agi dans l’intérêt d’un majeur vulnérable ; admettre que le désistement du premier produise effet, revient à accepter qu’il puisse valablement agir contre le majeur vulnérable.
L’intérêt supérieur du majeur vulnérable commande d’interdire toute possibilité au requérant de se désister, dès la réception de la requête par le Greffe.
4ème proposition. – Compétence matérielle du juge protectionnel, étendue à l’annulation ou la validation des obligations souscrites par un majeur protégé au cours de la période suspecte.
Dans un souci d’efficacité, les litiges relatifs à la validité des engagements ne concernant pas un immeuble, par le majeur au cours de la période suspecte (crédits à la consommation par exemple, démarchage à domicile), et à la validité de ceux souscrits en cours de mesure, devraient être jugés par le juge des tutelles, au terme d’un débat contradictoire avec le co-contractant, et non par le Tribunal de Grande Instance.
5ème proposition. – Vérification systématique du casier judiciaire (bulletin n° 1) de tout candidat à l’exercice d’une mesure de protection, et de tout protecteur.
Actuellement, il n’existe aucun contrôle de la probité d’un curateur ou tuteur familial. Sa désignation repose sur l’impression donnée lors de son audition, et sur l’absence de critique sérieuse émanant de tiers.
Or, la connaissance du passé judiciaire d’un candidat à l’exercice d’une mesure de protection permettrait au juge de l’écarter souverainement.
Cette consultation du B1 devrait être systématique, et régulièrement actualisée pour chaque protecteur, familial ou professionnel.
Pour le dire autrement : sauf à ce qu’y figure une infraction non intentionnelle, un casier vierge devrait être un pré-requis avant toute désignation d’un protecteur, par le juge.
6ème proposition. – Prise d’hypothèque sur les biens du tuteur familial.
Afin de garantir l’indemnisation du majeur protégé par son tuteur familial, en cas de faute de gestion, l’article 2409 C. civ. prévoit que le juge, « à l’ouverture de toute tutelle, (…) après avoir entendu le tuteur, décide si une inscription doit être requise sur les immeubles du tuteur. Dans l’affirmative, il fixe la somme pour laquelle il sera pris inscription et désigne les immeubles qui en seront grevés. Dans la négative, il peut, toutefois, décider que l’inscription de l’hypothèque sera remplacée par la constitution d’un gage, dont il détermine lui-même les contours. »
Cet article, pourtant essentiel à l’exercice harmonieux d’une mesure de protection, n’est pas appliqué.
Il constituerait cependant la garantie la plus précieuse, pour le majeur protégé, que l’exercice de la mesure sera responsable, puisque le tuteur engage ses biens en cas de faute de gestion.
Plus encore, cette prise d’hypothèque ou de gage permettrait d’éviter les défiances au sein d’une fratrie, ainsi que les oppositions de principe dirigées contre le candidat familial, accusé sans preuve d’arrière-pensées. Consentir le principe d’une hypothèque sur l’un de ses biens immobiliers serait la meilleure démonstration de son engagement à servir au mieux le majeur vulnérable.
7ème proposition. – Pour que la curatelle renforcée, prononcée par le juge, ne dérive pas en tutelle de fait.
Le régime juridique de la curatelle renforcée résulte de l’article 472 C. civ., qui dispose : « Le juge peut également, à tout moment, ordonner une curatelle renforcée. Dans ce cas, le curateur perçoit seul les revenus de la personne en curatelle sur un compte ouvert au nom de cette dernière. Il assure lui-même le règlement des dépenses auprès des tiers et dépose l’excédent sur un compte laissé à la disposition de l’intéressé ou le verse entre ses mains. »
Le principe de la curatelle renforcée devrait être une source d’apaisement pour le majeur vulnérable. Dans les faits, il n’en est rien. Prenons l’hypothèse d’un majeur percevant une retraite mensuelle de 3.000 euros, avec des charges mensuelles, lissées, de l’ordre de 2.000 euros. Il devrait lui rester un excédent de 1.000 euros par mois, laissés à sa disposition.
En pratique, il n’en est rien. Le majeur en curatelle recevra, non l’excédent devant lui revenir après paiement de ses charges, mais un argent de vie rationné, le curateur prenant des libertés de gestion que l’article 472 C. civ. ne lui octroie pas.
Il est donc essentiel qu’en curatelle renforcée, l’excédent soit laissé réellement à la disposition de la personne.
8ème proposition. – Renforcement de la répression des abus de faiblesse. Élargissement de l’indignité successorale à tout auteur ou complice d’abus de faiblesse, et tout auteur ou complice de violences sur personne vulnérable.
L’article 223-15-2 du Code pénal punit l’abus de faiblesse d’une peine d’emprisonnement de trois années, et de 375.000 euros d’amende. Trois années : cette peine correspond à la sanction d’un simple vol (art. 311-3 C. pén.), alors même que le vol sur personne vulnérable est puni de sept années d’emprisonnement (art. 311-5 c. pén.).
La peine réprimant l’abus de faiblesse n’est pas dissuasive, ni représentative du tort causé à la victime.
Plus encore, une personne condamnée pour abus de faiblesse ou maltraitance sur personne vulnérable ne relève pas de l’article 726 du Code civil, qui considère comme seuls indignes de succéder, et comme tels, exclus de la succession :
– Ceux condamnés à une peine de réclusion criminelle, comme auteur ou complice, pour meurtre, assassinat ou leur tentative.
– Ceux condamnés à une peine de réclusion criminelle, comme auteur ou complice, pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
Toute personne condamnée pour abus de faiblesse devrait obligatoirement figurer dans cette liste, qui devrait être élargie aux sommes perçues dans le cadre d’assurances-vie.
9ème proposition. – Testament et succession. Présence systématique de l’Administration des Domaines dans toute succession d’un majeur protégé dans laquelle se présente, en l’absence d’héritiers, un légataire universel extérieur à la famille du défunt.
Un majeur vulnérable, sans famille proche, est placé en tutelle. Peu de temps avant le jugement de protection, une personne avait obtenu du majeur vulnérable, un testament le gratifiant. Le majeur vulnérable décède. La mission du tuteur s’arrête. Quelque temps après, le légataire universel se présente avec le testament chez un notaire.
En l’état actuel du droit, il n’existe aucune procédure permettant d’obtenir l’annulation rétroactive du testament pour insanité d’esprit, dès lors qu’aucun héritier n’intente l’action.
De lege ferenda, il serait judicieux que dans toute succession dans laquelle, en l’absence d’héritier légal, se présente un légataire universel, le notaire prévienne l’Administration des Domaines afin qu’une enquête soit diligentée concernant l’aptitude psychique du défunt au moment de la rédaction du testament. Ainsi, en cas d’annulation judiciaire du testament, l’Etat héritera, plutôt qu’une personne malveillante.
10ème proposition. – Restriction et encadrement de l’habilitation familiale. Nécessité d’un conseil de famille.
L’habilitation familiale, créée par l’ordonnance en date du 15 octobre 2015 , complétée par la loi du 18 novembre 2016 , est une institution dangereuse qui traduit un désengagement des pouvoirs publics dans la protection effective des majeurs vulnérables les plus altérés.
En effet, plutôt que de remédier aux dysfonctionnements de la protection judiciaire des majeurs vulnérables, en créant davantage de postes de juges des tutelles, de greffiers, de greffiers en chef, afin de permettre un contrôle approfondi et systématique des comptes de gestion de chaque majeur protégé, les Gouvernants d’alors ont imaginé un mécanisme permettant de confier le patrimoine d’une personne grandement altérée (et donc inapte à s’y opposer), à l’un des membres de sa famille, sans contrôle ni reddition de comptes, l’habilitation familiale permettant même à l’habilité le demandant de se voir investi du pouvoir d’accomplir des actes de disposition, sans autorisation préalable du juge avant la vente d’un bien immobilier ou le retrait de fonds placés . Ce pouvoir sans limite pouvant être accordé par le juge pour une période de dix années voire, en cas de renouvellement, de vingt années.
La seule condition pour que le majeur hors d’état d’exprimer une volonté fasse l’objet d’une habilitation familiale : que la famille soit unanime pour la demander. En d’autres termes, que la famille taise ses différends, pour gérer comme bon lui semble la mesure. Avec l’habilitation familiale, si l’argent du majeur n’est pas utilisé dans son intérêt, qui le saura ? Personne. Qui mettra fin à l’hémorragie financière ? Personne. Si le majeur vulnérable est transféré dans un EHPAD inconfortable, qui le saura ? Qui veillera à la dignité du majeur, en l’absence d’avocat ? Rien ne justifie que le patrimoine d’un majeur gravement altéré, qui n’aura jamais la ressource d’alerter qui que ce soit en cas d’abus, soit ici laissé à la discrétion de l’habilité.
L’habilitation familiale ne devrait être prononcée par le juge qu’avec une extrême parcimonie : en présence d’un mariage éprouvé par le temps, dans le cadre d’une famille authentiquement unie, au terme d’une instruction approfondie, un avocat étant obligatoirement présent pour le majeur, et à la condition de réserver les actes de disposition et d’exiger des rapports réguliers sur l’état de santé et les conditions de prise en charge du majeur vulnérable. De plus, afin qu’au sein de la famille une reddition et un contrôle des comptes se fasse, devrait être posée l’obligation pour l’habilité de rendre compte au subrogé habilité, tous deux étant réunis en conseil de famille.
Valéry Montourcy
Avocat au Barreau de Paris
Droit des majeurs protégés (sauvegardes de justice, curatelles, tutelles)
2 square de l’avenue du Bois – 75116 Paris
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