1. Propos liminaire. La question du mariage d’un majeur sous tutelle n’a pendant des années jamais suscité le moindre débat : chacun trouvait légitime que le juge des tutelles soit amené à autoriser ou non le majeur, par définition gravement altéré, à se marier, après avoir vérifié le caractère libre et éclairé de son consentement. Et dans les faits, les demandes de mariage émanant d’un majeur sous tutelle étaient, en raison de l’état de santé psychique des intéressés, plus que résiduelles.
2. Loi applicable. L’article 460 al. 2 du code civil, qui régit cette question, dispose : « Le mariage d’une personne en tutelle n’est permis qu’avec l’autorisation du juge (…) et après audition des futurs conjoints et recueil, le cas échéant, de l’avis des parents et de l’entourage. »
3. Auditions. Lorsqu’un majeur envisage de se marier et qu’il exprime ce souhait au juge des tutelles, celui-ci convoque le couple à une audition, afin de s’assurer que le courrier qu’il a reçu émane bien du majeur, d’entendre de la bouche du majeur lui-même le souhait de se marier, et de comprendre les raisons et les sentiments qui l’animent.
Cette audition est indispensable : nombre de majeurs en tutelle sont à ce point diminués psychiquement qu’il leur est impossible de concevoir l’idée d’un mariage, cette idée venant le plus souvent du tiers qui l’aura approché, influencé et manipulé. L’audition devant le juge permet de déjouer certaines stratégies, le majeur n’ayant souvent aucune conscience, ou aucun souvenir, du projet matrimonial en question.
L’audition du conjoint permet au juge de vérifier l’ancienneté et la sincérité de leur lien, de connaître les circonstances de la rencontre, et d’évincer les personnes contre qui des soupçons pèsent, ou qui font l’objet d’une plainte pénale.
4. L’avis facultatif des parents et de l’entourage. Parallèlement, le juge interrogera par écrit et / ou en audition le tuteur et les parents pour connaître leur avis, leurs réserves ou leur adhésion. Cette recherche, en pratique systématique, est précieuse : le juge apprend des informations essentielles. Les choses sont alors simples. Soit des éléments sont objectivement préoccupants (le majeur est plus isolé depuis que le candidat au mariage est apparu dans sa vie), et le mariage est refusé en l’état. Soit les membres de la famille sont simplement défavorables à l’union (parce qu’ils n’apprécient pas leur futur beau-parent, par exemple), et cette absence d’adhésion sera sans impact sur la décision positive du juge.
5. Exigence supplémentaire posée par la jurisprudence : une requête rédigée personnellement par le majeur en tutelle. Afin que le majeur soit bien à l’origine de la demande d’autorisation envoyée au juge des tutelles, la Cour de cassation, dans un arrêt du 02 décembre 2015 (précédemment commenté sur ce blog, cf. Mariage et tutelle : l’exigence nouvelle, 21/12/15), a exigé que la requête émane du majeur vulnérable lui-même, et non de son tuteur. Une précaution supplémentaire qui ne pouvait qu’être saluée, le mariage étant un acte strictement personnel.
6. L’autorisation donnée par le juge est une condition nécessaire, mais non suffisante. Une fois que le juge a donné son accord au mariage, il faut encore que le majeur puisse donner son consentement, distinctement, devant le Maire, lors de la cérémonie civile. L’autorisation judiciaire n’en tient évidemment pas lieu. Si le majeur n’y est pas apte, le mariage n’est pas prononcé.
7. Réflexions libres. A/ Ces précautions légales sont, à l’aune de ma pratique, équilibrées, tant le droit des majeurs vulnérables est le terreau des abus de faiblesse.
B/ Pour ces raisons, l’annonce de la secrétaire d’Etat chargée du handicap, faite le 25 octobre 2018, aux termes de laquelle toutes les personnes sous tutelle devraient pouvoir se marier librement (!), sans autorisation judiciaire (!!), au motif que cette dernière constituerait une discrimination (!!!), traduit une méconnaissance profonde du monde de la tutelle.
En effet, le principe d’égalité ne signifie pas que toute personne doive recevoir le même traitement juridique : le principe d’égalité suppose de traiter de la même façon des personnes se trouvant dans des situations équivalentes : or, une personne dont le consentement est altéré ne peut précisément être livrée à elle-même, encore moins à la convoitise de tiers, sans le moindre contrôle judiciaire, contrairement à une personne saine d’esprit, maîtresse de sa volonté. Ce contrôle judiciaire n’est pas une discrimination, mais le moindre des respects dus à une personne altérée psychiquement. L’autorisation judiciaire n’est pas une contrainte, mais une garantie effective de protection.
À défaut, autant supprimer l’ensemble des règles protectrices du droit des majeurs vulnérables, fermer le code civil, et reconnaître la pleine validité de la signature apposée au bas d’un contrat de vente, d’achat, de crédit, par un majeur altéré qui se fait abuser, au prétexte que la curatelle comme la tutelle constitueraient une discrimination ! Autant ajouter que l’autorisation donnée par le juge des tutelles constitue une entrave à la liberté du prédateur d’abuser de la faiblesse d’un majeur vulnérable, et l’inversion des valeurs sera totale.
C/ En pratique, lorsqu’un couple est uni depuis un certain temps au moment où une maladie neurodégénérative ou un traumatisme crânien survient chez l’un des concubins, le juge autorise le mariage s’il est demandé par le majeur, en conscience, et s’il correspond à une aspiration mutuelle. De même, lorsque deux personnes sous tutelle s’éprennent l’un de l’autre (elles se sont par exemple rencontrées dans un ESAT), et que chacune émet le souhait de se marier parce que chacune est apte à concevoir l’idée de mariage et ses implications, le juge autorisera le mariage.
La difficulté surgit lorsqu’une personne altérée mentalement est approchée par une personne ne souffrant d’aucune altération psychique : en ce cas, sauf à faire preuve d’un angélisme affligeant, l’abus de faiblesse n’est pas loin. Et c’est précisément au juge des tutelles de vérifier que le prédateur amoral ne puisse pas parvenir à ses fins.
L’actuelle exigence d’une autorisation judiciaire permet d’écarter ces prédateurs, qui n’oseront pas apparaître devant un juge, en audition, au risque qu’un signalement soit immédiatement adressé au parquet pénal par le juge, ou par le tuteur.
D/ Si l’annonce gouvernementale devait advenir, les majeurs sous tutelle seraient à la merci de prédateurs, qui pullulent déjà. Et les maires de France verraient des personnes très âgées et diminuées, conditionnées à répondre « oui », s’unir à d’autres beaucoup plus jeunes, devant une salle des fêtes vide d’invités, à l’exception de témoins complices du prédateur. Après le mariage, le prédateur héritera assez vite sans droit de succession. Les héritiers écartés (s’il en existe, et s’ils apprennent le décès) perdront leur énergie et leur santé dans des plaintes pénales qui seront traitées avec retard (tant les policiers, en sous-effectifs, sont submergés), ce qui laissera le temps au prédateur de vider les comptes bancaires, d’autant qu’il sera alors difficile de prouver médicalement l’abus de faiblesse, puisque la loi projetée, en autorisant sans restriction le mariage, aura présumé l’aptitude du majeur abusé… à y consentir.
Ce n’est pas ainsi que l’on défend la dignité des majeurs vulnérables, et il est urgent que les Gouvernements s’en rendent compte. Avant que les citoyens, blessés que la loi ne protège pas les plus fragiles d’entre eux, ne s’élèvent.
Valéry MONTOURCY
Avocat au barreau de Paris
Droit des majeurs vulnérables (sauvegardes, curatelles, tutelles, hospitalisations)
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